
Elle ouvre un livre, qu’importe lequel, pour que cesse ce vacarme dans son cœur, pour qu’elle ne fasse pas la folie d’un signe. Pour que se taisent en elle tous ces mots qu’elle voudrait lui dire, qu’elle ne veut pas lui dire. Pour s’imprégner d’une histoire qui n’a rien à voir avec ce trouble en elle. Que cherche- t- elle si ce n’est une réponse qui lui caresse le cœur. Elle regarde longuement les mots qui défilent sur le livre sans y prêter trop d’intérêt, sans effet de surprise juste se poser. Qu’il était difficile de résister à ce vertige ! Mais elle continuait de lire sans remarquer l’émoi que cela provoquait en elle. Ses yeux, grands ouverts frangés de longs cils, des yeux vastes comme la mer, tout piquetés de minuscules points lumineux. Marine était capable d’affronter n’importe quel supplice, certaine qu’elle avançait sur une planche étroite au-dessus d’un précipice sans fond. Dehors, sous le ciel incendié de juin, les végétaux semblaient figés, découpés dans d’épaisses lames de métal. Parfois l’oblique atterrissage d’un oiseau suffisait à détruire cette impression de décor artificiel.
Tout s’anima soudain, tout ce désert écrasé de chaleur prit vie lorsqu’elle le vit longer le mur d’enceinte. Quelque chose allait se passer, elle le devinait à la brutale accélération de tout son sang ! Avant d’atteindre la terrasse et dans un renfoncement de verdure, Guillaume lui fit un signe amical, le bras levé « quelle folie ! » se dit il avec plus de tristesse, cependant, que d’inquiétude. Il se dit qu’elle allait le refuser, le rejeter. Il ne laJe vais prendre méritait pas ! D’une manière comme d’une autre, ne devrait il pas payer pour son cynisme ? Il lui parlerait, il lui dirait pourquoi il s’était si mal conduit avec elle. Guillaume se souvint que pendant son enfance il s’était blessé au bras pour se punir d’une faute commise contre sa mère. Lorsqu’il avait surpris l’attitude hautaine et quelque peu méprisante de Marine cette pensée lui donna envie de rouvrir au couteau la même blessure. Il recula encore cette minute qui le séparait d’elle, fasciné par deux insectes qui tournoyaient dehors, au ras du carrelage, s’attardaient en une danse magique. La lance d’un iris violet passait le bord de la terrasse. Bientôt tout serait peut être fini. Elle l’observait du haut de l’escalier. Soudain il lui dit :
– j’ai à vous parler Marine.
– Tout de suite
– Oui
– Bien. Venez. Je vous écoute.
Trop calme elle ne semblait pas se souvenir de la scène du mercredi précédent.
-Je voulais vous dire marine…il se tut brusquement.
– Et bien ? Son regard devint insoutenable.
Guillaume savait qu’il suffisait de dire une phrase, une seule pour glisser dans un de ces tourbillons qui vous entraînent au fond de la mer, un de ces tourbillons d’où on ne remonte jamais, où l’on vit désormais dans une effroyable clameur de cataracte ! Il eut peur.
Elle semblait très lasse. Guillaume la prit par le bras, la conduisit dans sa chambre. Là sans dire un mot, il l’étreignit, lui baisa fougueusement les lèvres, les cheveux, le cou, et d’abord elle se laissa faire sans réagir, puis lui rendit ses caresses avec tendresse. Le soleil éclairait de biais le visage de Marine marqué par la fatigue, la tension nerveuse, et les cernes légères qui meurtrissaient ses yeux verts la rendaient plus émouvante.
Il voulut ajouter quelque chose, manifester sa joie. Mais était- ce bien de la joie ce sentiment étrangement dilaté jusqu’à l’angoisse.
– Je t’aime tu me crois ? dit il. Tu dois me croire !
Oui, oui, elle le croyait. Il avait son code moral, un peu inattendu à ses yeux, mais qu’importe ? Elle recula légèrement, le regarda sans cesser de sourire. (Texte Roberte Colonel)
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