
«Où vont-elles, où vont-elles, nos amours passées ?
Qui me le dira ?
Elles deviennent des fantômes, des ombres, des larves, disent les poètes.
Eh quoi ! N’étaient-elles rien ?
Ce monde qui s’efface de devant nos yeux n’a-t-il jamais existé ?
Les passions sont-elles des rêves aussi vains que ceux du sommeil ?
Non, c’est impossible.
Les rêves du sommeil sont l’action d’un moi inconscient et incomplet.
Nos passions sont, non pas seulement l’action fatale,
Mais encore l’œuvre voulue de tout notre être.
L’entraînement les suscite, mais la volonté les poursuit, les connaît,
Les définit, les nomme et les satisfait.
Nos passions, c’est notre esprit et notre cœur,
Notre chair et nos os, notre puissance réalisée,
L’intensité de notre vie intime manifestée par notre vie physique;
Elles aspirent à être partagées, elles le sont, elles agissent,
Elles deviennent fécondes, elles créent !
Elles créent des œuvres, des actes, des faits accomplis, l’histoire,
Les choses belles, l’art, ou bonnes, des idées,
Des principes, la connaissance du vrai.
Elles créent des êtres, des enfants qui naissent de nous intellectuellement ou réellement.
Ce ne sont donc pas des songes ni des spectres.
Ôtez les passions, l’homme n’existe plus.»
George Sand, Le Dernier amour.