
Photos de la publication de Galerie Mario Colonel·
Texte de notre fils Mario Colonel…
Elle est là, à travers la fenêtre. Elle n’a jamais été aussi proche. Les rochers polis par le vent, la neige sculptée par les courants, les nuages accrochés aux aspérités, le décor est en place. La neige s’accroche encore aux arêtes. Des combes se dessinent plus sensuelles qu’avant. Les sommets se découpent dans la valse des cumulus. C’est beau la montagne, comme toujours. Il suffit de tendre les mains. Pourtant elles nous sont interdites et je regarde benoîtement les montagnes. Comme un saint qui les découvre. Avec mysticité et recul. Des journées de frénésie, puis d’un coup le retour à la grotte. Sur le chemin de l’essentiel. Elles sont là comme le jour et la nuit. Dans la vérité du monde. Je ou plutôt nous ne leur appartenons plus. Pendant longtemps, on a cru que nous possédions la montagne, Comme si un acte de propriété suffisait. Un bout de papier contre le vent des cimes. Une volonté d’en découdre contre la grande verticale. L’envie de s’amuser contre presque l’infini. Un virus, même pas de la taille d’un grain de quartz et tout est remis en question.
Comment pouvons-nous croire en cette fadaise. Comment pourrait-on s’accaparer la nature ? La montagne est magnifique parce que nous n’y sommes plus … Etrange paradoxe de saisir cruellement que notre absence fait son bonheur. L’air est pur comme au premier jour, il se régénère en notre absence. Les brises de vallée ont chassé les derniers polluants. Le cacophonie de bagnoles en mouvement a disparu. Le ciel s’est libéré de ses rayures infâmes qui éraflaient l’azur. Le temps chante à nouveau son impermanence. La vie animale reprend ses droits. Le oiseaux accomplissent leurs rituels. Le printemps approche mais il semble plus joyeux. Le filet d’eau qui coule a côté de la maison charrie moins de scories. Descendant des Fiz, il retrouve un rite ancestral. Celui de se tailler la route, vers la Mer. Pour raccorder le ciel et la Terre, il fallait les deux éléments; celui d’en haut, des hauteurs et des montagnes; celui d’en bas, des profondeurs et des abysses. Je suis sur une frontière et pour une fois, je n’en bougerai pas. Toutes les frontières se ferment. La volonté des hommes n’y est pour rien. La peur l’emporte sur le reste. La montagne redevient une barrière. Elle érige ses parois en une vaste citadelle. Elle est belle à travers ma fenêtre. Qu’il pleuve ou qu’il neige, elle gardera sa magnificence dans les semaines à venir. Je sais que je la retrouverai, un jour. Parce que le jour succède à la nuit. Parce que la beauté forcément s’impose, même sur les frontons des sommets.
Ne me reste plus qu’à ouvrir la fenêtre en grand, pour laisser l’air frais rentrer et la contempler, une fois de plus, en nous disant que cette pause pourrait être une chance. Parce que nous aurons, dans notre malheur entrevu un autre possible…
Mario Colonel, Servoz le 21 mars.